les vitrines du pavé dans la mare _© pierre-yves freund






Les vitrines du pavé dans la mare _ Besançon _ 2006


Pierre-Yves Freund


Né en 1951, Pierre-Yves Freund travaille depuis les années 1990 sur les notions de trace, mémoire et empreinte à travers sculptures, installations, photographies, vidéos, écrits, collages… Le hasard d’une rencontre, dans un endroit quelconque, avec un matériau préexistant qu’il choisit de prélever et de s’approprier détermine la plupart de ses œuvres. « Juste le choix du regard, et cela s’impose et se construit. » (1) Cet élément constituera tantôt la matrice (plaque métallique qui devient le moule de la série Maisons Tordues, 2005-2006 ) tantôt le (ou l’un des) constituant(s) de l’œuvre (détails de photos de magazines qui sont dispersées sur un lieu dans Vol d’image, installation réalisée en 2002 au Centre Hospitalier de Belfort).

La majorité des sculptures résultent d’un moulage en plâtre, elles s’organisent en séries de pièces plus ou moins semblables, parfois issues du même moule comme dans Petites Maisons (2003) et Grandes Maisons (2003), parfois générées par plusieurs moules déclinant le même type de forme mais selon diverses tailles Petites Boîtes (2004). Dans tous les cas, ces formes proches ne peuvent accéder à l’exacte reproduction car même lorsqu’elles résultent de l’utilisation d’un seul moule, le démoulage les dissocie, marquant chacune d’elles d’une manière particulière (adhésion au moule plus ou moins forte, cassures…). Le moule est parfois intégré à l’œuvre comme dans Lucioles (2004) où le plâtre a été coulé dans des bas de soie noire formant alors, sous le poids de la matière, des bulbes blancs qui prolongent en l’étirant le tissu du bas. Pierre-Yves Freund propose la déclinaison d’une même forme selon de faibles degrès de différenciation. « La répétition peut être variation d’une même pensée, d’un même geste déclinant de multiples combinaisons d’équilibres possibles entre un volume de plâtre, une plaque de verre, un mur, une tige de métal…ou être forme répliquée à l’identique […]. La répétition peut être redondance, et amener à une nouvelle forme l’expression récurrente […]. Chaque lieu, chaque temps apporte ses conditions particulières, refusant l’exacte répétition introduisant la mise à l’épreuve, annulant, suggérant un autre devenir. » (2) En effet, la disposition de ces sculptures demeure « aléatoire » car « fonction du lieu et de son espace », notamment au niveau du nombre de pièces présentées. (3) Ainsi, chaque installation d’une série de sculptures, tout en développant la notion de répétition à laquelle s’associe celle voisine de pérennité, s’inscrit finalement dans l’unicité (elle est unique car adaptée au lieu d’exposition avec lequel elle établit une résonnance singulière) et l’éphémère (elle ne dure que le temps de l’exposition). Quant à l’occupation de l’espace, elle s’affirme homogène et plurielle car définie par un ordonnancement d’éléments précisément délimité - alignement des pièces en plusieurs rangées – mais ponctué vides.

Trois séries de sculptures sont présentées ici, la dernière étant accompagnée de photographies : Maisons Tordues (2005-2006), Petites Boîtes (2004) et Trois Fuites (2005-2006).
Les Maisons Tordues (2005-2006) sont issues d’un moule constitué d’une plaque d’aluminium convexe et de deux plaques métalliques déterminant respectivement le toit et les deux côtés. Pierre-Yves Freund a réalisé une centaine de maisons. Le contact entre le métal et l’eau contenue dans le plâtre entraîne une production aléatoire et diffuse de rouille localisée sur les côtés : la blancheur est imparfaite, accidentée. « Je coule sans soin du plâtre dans des moules mal joints, colmate les fuites. Cela coule salit et sèche. » (4) L’imperfection formelle accompagne celle de la couleur : trois surfaces planes (la base et les deux côtés) encadrent un toit courbe dont l’arête décrit une torsion débutant au sommet d’un côté pour s’achever au sommet du second : il y a déviation de gauche à droite/droite à gauche selon l’angle de vue. La trace d’une lutte entre deux forces contraires s’est figée dans le plâtre. Il en résulte une impression d’affaissement, de liquéfaction qui distingue ces maisons des précédentes séries, Grandes Maisons (2003) et Petites Maisons (2003), dont les arêtes rectilignes et saillantes étaient soulignées par la présence d’une tige métallique, armature du faîtage, qui se désolidarisait du bloc. L’habituelle confrontation de la rigueur d’un alignement au caractère accidenté des sculptures prend ici une nouvelle ampleur : les moulages ne font plus simplement l’objet d’altérations ponctuelles (craquelures, cassures, tâches…), ils sont littéralement « tordus ».  La dictature de l’alignement se trouve défiée par le mouvement qui, bien que pétrifié, s’expose en chacune des maisons.
Chacune des Petites Boîtes (2004) est basée sur une coulée de plâtre à l’intérieur d’une boîte cartonnée. Les tailles varient légèrement mais le principe reste le même : le moulage obtenu signale par la présence d’aplats en creux ou relief les pliures du carton (notamment pour la partie couvercle). L’objet mentionné dans le titre – boîte – ne constitue plus simplement le sujet d’une représentation, il se manifeste concrètement au sein de l’œuvre : son volume et ses facettes internes l’imprègnent et la définissent. La distinction visuelle entre les deux éléments s’amenuise. Une confusion s’installe et se prolonge au-delà des apparences : en s’emparant du contenu de la boîte, la sculpture s’est dotée d’une matérialité hybride mêlant le plâtre au vide détenu par la boîte. Chaque Petite Boîte, véritable concrétion du vide déployé dans la boîte-source, s’affirme monolithe donc étrangère à toute notion de réceptacle.
Quant à la série Trois Fuites (2005-2006), elle s’inscrit dans celle des Petites Boîtes : « Ce sont trois moulages d’intérieur de petites boîtes, du même modèle. La boîte s’est décollée en cours de prise de solidification du plâtre, l’intérieur s’est évidé, le plâtre garde juste la trace des parois, faisant à peine plus d’un millimètre en certains endroits. La base est restée pleine, répandue. C’est un accident. » (5) La similitude entre la stature de la boîte et celle de la sculpture est rompue : la forme de la seconde s’est alanguie, comporte des cassures, amorce un affaissement. Inversement, semblablement à sa matrice, l’œuvre se compose désormais de parois et de vide.


Cécile Desbaudard




(1) : Pierre-Yves Freund, A consommer sans modération, catalogue d’exposition, Camille Cloutier, Pierre-Yves Freund, Raphaëlle Paupert-Borne, Arnaud Vasseux, le 10neuf Centre Régional d’Art Contemporain, Montbéliard, 11/12/2004-23/01/2005.
(2) : Pierre-Yves Freund, Ca dépend d’elle, catalogue d’exposition, Musée des Beaux-Arts de Lons-le-Saunier, 14/02/2004-11/04/2004, p. 8.
(3) : Pierre-Yves Freund, op. cit., p. 11.
(4) : Pierre-Yves Freund, A consommer sans modération, catalogue d’exposition, Camille Cloutier, Pierre-Yves Freund, Raphaëlle Paupert-Borne, Arnaud Vasseux, le 10neuf Centre Régional d’Art Contemporain, Montbéliard, 11/12/2004-23/01/2005.
(5) : Pierre-Yves Freund, extrait d’un mail concernant la série Trois Fuites (2005-2006), 20/03/2006.
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